Le Land Art en faveur du développement durable

Le land Art et le développement durable

LE «LAND ART», UNE PISTE POUR L’EDUCATION AU DEVELOPPEMENT DURABLE.

une citation de Paul Virilio tirée de «véhiculaire» dans Nomades et vagabonds, cause commune, 1978. me paraît une bonne intro… «Si la PEDAGOGIE fut à l’origine une mise en rapport du sens et du développement pédestre dans les jardins d’Akademos, si le rapprochement lent permet l’enchaînement du sens des éléments du monde traversé, les hautes vitesses téléscopent les significations au point de les dissoudre comme la lumière fait des couleurs.»

Ou celle-ci de Gilles Clément, créateur de concepts novateurs comme le jardin planétaire ou le tiers paysage en réponse à la question de savoir si l’art peut-il sauver le monde : «C’est l’humanité qu’il faut sauver, car elle a besoin de s’auto-entretenir sur le plan du rêve, de la poésie, de l’espérance et l’art est là pour ça. Sa fonction première est de poser des questions, le regard de l’artiste permet de dévoiler quelque chose que personne n’avait vu. L’artiste bouscule, il est toujours subversif.»

Quelques repères historiques.

A la suite d’artistes-peintres comme Monet , Cézanne ou Van Gogh pour ne citer qu’eux qui étaient sortis de leurs ateliers pour se confronter au paysage en tant que motif et à ses changements de lumière pour tenter de rendre compte de ses multiples variations ou mutations, de ses structures ou de sa matérialité dans un élan de communion avec le paysage comme sujet, des artistes des années soixante ont à nouveau délaissé l’atelier ou la galerie pour se déplacer à l’extérieur avec d’autre motivations influencées, entre autres, par une prise de conscience écologique naissante.

Mais contrairement à leurs prédécesseurs, ils ne reproduisent plus le paysage face à eux, ne l’utilisent plus tel un modèle mais comme le médium de leurs pratiques artistiques et comme vecteurs de préoccupations écologiques naissantes en regard des transformations que le développement industriel impose au paysage. Même si la plupart de ces artistes ne produisent pas un discours critique explicite vis-à-vis de la société, le simple fait d’ouvrir la porte de l’atelier pour aller dans un environnement désertique ou habité, reconnu ou abandonné ouvre tout un champ de possibles autant dans les pratiques renouvelées de l’art à la suite de l’art minimal ou conceptuel. Les oeuvres deviennent des sculptures monumentales ou des installations in situ, éphémères ou non, en lien direct avec leur environnement  immortalisées sous forme de livres, de photographies, de vidéos, d’émissions télévisuelles ou d’espaces théâtraux ou/et de nouvelles installations dans l’espace d’exposition en minimisant l’habileté personnelle au profit de l’idée, du concept.

La forme devient plus la traduction de la réflexion que de l’action de l’artiste et s’inscrit en tant que telle dans le paysage autant que toute autre action humaine mais avec une conscience de la portée écologique du développement effréné de la société de l’après-guerre mondiale.

A la fin des années soixante, la nécessité de se préoccuper des conséquences des actions humaines sur l’environnement est aussi relayée par une meilleure connaissance des sociétés dite primitives dans leur rapport respectueux avec la nature et d’une volonté de prendre distance avec le modèle proposé par la société occidentale, américaine en particulier. Ainsi, en 1970, Robert Smithson utilise les mêmes moyens que l’industrie minière mais en les détournant pour réaliser «Spiral Jetty» sur les berges du Grand lac salé , Michaël Heizer réalise son «Double Negative» dans la Mormon Mesa, agissant de manière à inscrire les projets artistiques dans une logique interventionniste en reliant leur projet aux spécificités du site dans lesquels ils sont et aux légendes amérindiennes alors que, en Europe, d’autres artistes réalisent des projets éphémères sans impact durable sur le paysage.

Ainsi, en 1967, Richard Long réalise «a line made by walking» en marchant en ligne droite et revient sur ses pas juste assez de fois pour que la ligne soit apparente, il prend une photographie qu’il légende de manière strictement descriptive; ce projet initial résume toutes les marches futures ponctuées de sculptures éphémères qu’il réalise à travers le monde depuis lors, il considère le paysage comme une feuille blanche qu’il parcourt et ponctue de marques aux formes géométriques simples réalisées avec les matériaux du lieu : lignes, cercles, spirales de pierre, terre ou sable ou de listes de mots, témoignages de l’expérience vécue . Hamish Fulton, compagnon de route occasionnel du précédent ne laisse aucune trace de son passage sur les lieux et ramène avec lui des photographies ou des dessins qu’ils transfèrent dans les lieux d’exposition. Tous deux s’inspirent des nomades dans leur pratique comme dans leur impact sur le territoire. Andy Goldsworthy, plus sédentaire, réalise des oeuvres éphémères ou pas avec les matériaux trouvés sur place dont la grande beauté décorative peut occulter le sens d’une compréhension des processus de métamorphoses présents dans la nature. Wolfgang Laib, quant à lui, utilise le pollen des fleurs récolté par ses soins, la cire des abeilles ou le lait pour réaliser dans les espaces d’exposition des installations éphémères afin «d’amener les gens à se rapprocher du processus de la nature» en participant à l’entretien de ses oeuvres et par là-même à prendre conscience de la fragilité de notre environnement. Depuis lors, de nouvelles générations d’artistes ont pris le relais et poursuivent le chemin entamé par leurs prédécesseurs comme, par exemple, Olafur Eliasson qui propose une réflexion élargie centrée sur nos perceptions par des expérimentations physiques des phénomènes naturels entre autres et leur constante évolution aussi bien en tant qu’artiste que professeur.

Pratique personnelle et éducation.

Il me paraît indispensable d’avoir une expérience personnelle afin d’éprouver ce que pourrait être un développement durable autant dans la vie de tous les jours que dans la pratique artistique ou enseignante. En effet, j’ai l’impression que les cloisons entre ces 3 pôles sont relativement poreuses et qu’une expérience dans ma vie personnelle a forcément une incidence sur ma pratique enseignante ou sur le développement d’un projet artistique et inversement au même titre que mon expérience de parent me permet de développer ma pratique d’enseignant en effectuant des transferts dans un sens ou dans l’autre.

Le projet que j’ai envie d’évoquer est une performance-installation réalisée pour une exposition à Genève en 1993, intitulée «climats 93». Elle impliquait 45 artistes et étudiants dans 7 parcs de la ville. J’ai réalisé une spirale de tournesols en cultivant quelques 300 plants afin d’en avoir 90 à tous les stades de développement précédant la floraison mesurant de 10 centimètres à 2 mètres au moment de l’installation dans le parc concerné. La mise en place de l’installation elle-même était réalisée par étapes successives (J-4 : marquer l’emplacement de chaque plant avec de petits tuteurs, J-3 : dégager un sillon de terre dans le gazon, J-2 : retourner la terre dans le sillon, J-1 : planter les 90 tournesols en partant du centre avec le plus âgé). le nombre de tournesols correspondait au nombre de jours de l’exposition, la spirale était orientée d’est (au centre) en ouest et le sens de rotation correspondait au sens magnétique dans l’hémisphère nord. Sa taille permettait de la parcourir jusqu’au centre et elle fonctionnait comme un parcours initiatique et le tout créait un microcosme évolutif de bio-diversité qui se développait durant l’été puisque les jardiniers ne pouvaient pas tondre le gazon à l’intérieur de la spirale et lorsqu’elle fut enlevée par mes soins, ils l’ont tondu en spirale en respectant la forme au sol ! Le démontage se déroulait par étapes comme la mise en place J-4 : récupérer les graines et couper les fleurs, J-3 : découper les tiges au raz du sol, J-2 : enlever les tuteurs et les coucher au sol pour créer une forme de fossile, J-1 : placer une ligne de feuilles d’automne jaunes le long du tracé de la spirale comme dernier rappel du projet et distribuer des boîtes de film photo analogique customizées remplies de graines aux habitants dont les balcons donnaient sur le parc en guise de remerciements pour ce temps d’échange partagé avec l’espoir que la spirale pouvait continuer à grandir sur leurs balcons les années suivantes…Tout le concept du projet était la transmission, le passage du temps dans la nature et l’éducation par l’expérience en couches successives. La forme de la spirale est un principe de développement très présent dans la nature et par extension dans le développement du savoir humain. Pas à pas, j’ai poursuivi mon chemin en transmettant mon savoir et ma passion pour l’art à l’enfant qui venait de naître et à tous les autres que j’ai côtoyé depuis lors dans ma profession d’enseignant d’arts visuels.

En 1998, durant l’année de formation au SPES (séminaire pédagogique de l’enseignement secondaire), j’enseignais à l’E.S. Gland et j’ai organisé un camp artistique dans le jura sur le thème et avec le médium de la terre avec des élèves de 8e année qui suivaient le cours facultatif, ils ont réalisé des installations éphémères dans le paysage comme des maquettes de lieux utopiques ainsi que des sculptures de terre de maisons cuites dans un four papier construit sur place passant la nuit à la belle étoile à lire «Waldau» de William Thoreau sur son expérience de vie en forêt.

Puis, lors des années qui suivirent, j’ai initié des animations données aux classes primaires et enfantines de L’ E.S. Isabelle de Portes à Borex l’un sur le thème générique des Amérindiens, l’autre sur la Préhistoire qui donnèrent lieu à des activités dans et avec la nature; dans un cas, chaque activité était conçue pour rendre conscients les enfants de la portée de chacune de leurs actions sur leur environnement direct et de la nécessité de minimiser l’empreinte écologique d’une semaine passée en auto-suffisance en réalisant des projets artistiques bio-dégradables. Ainsi, après avoir construit un village avec le bois et la pierre comme matériaux, d’y avoir vécu, dormi, mangé pour aboutir à la réalisation de totems avec des peintures naturelles et à leur installation finale au centre du lieu comme seul témoin de notre passage. Quant à l’autre, la phase finale consistait en la réalisation de peintures rupestres réalisées avec le charbon issu du feu, de terres de couleurs différentes, de pierres pilées mélangée à la graisse de la viande cuisinée. Le but étant de montrer qu’un autre mode de vie est possible. L’impact sur les enfants fut tellement fort que lorsque je croise nombre d’entre eux, devenus adultes aujourd’hui, ils m’en parlent spontanément comme d’un souvenir inoubliable.

Dans les années 2000, j’ai réalisé des animations artistiques avec de nombreuses classes au cycle initial et primaire de Genolier et environs à raison de 4 périodes par classe sur 2 semaines avec des pierres en lien avec le travail de Richard Long, des feuilles et de la neige et des fleurs pour faire écho aux projets d’Andy Goldsworthy, des bois morts déplacés et disposés en forme de nid pour les créations de Nils Udo ou encore la terre au multiples couleurs récoltée lors de promenades pour réaliser des frottages sur papier et constituer une collection colorée et sensible des lieux environnants à la manière d’Herman de Vries.

Toutes ses animations ont fait l’objet d’expositions dans les écoles concernées sensibilisant ainsi les autorités, les parents et les enfants au caractère éphémère et profondément écologique d’un certain type de Land art soucieux de la protection de l’environnement et contribuant fortement à les rendre attentifs au développement durable.

Puis plus récemment, lorsque les animations visuelles au primaire cessèrent au profit d’autres activités, j’ai réalisé différentes séquences sous forme de décloisonnement sur 2 jours en fin d’année scolaire avec des adolescents de 7 et 8e année; Cela a permis de réaliser des projets en commun développant des compétences de coopération et d’entraide dans la réalisation de projets plus grands comme pour la plupart des projets de développement durable.